Crise politique autour du voile en Égypte
Les Frères musulmans demandent le renvoi du ministre de la Culture après des critiques sur le port du foulard islamique.
UN MOIS après la controverse suscitée par l'interdiction du port du niqab (voile intégral) à l'université d'Helwan, au sud du Caire, c'est au tour du hidjab de faire polémique en Égypte.
Les islamistes crient au scandale après des déclarations du ministre de la Culture, Farouk Hosni, qui a qualifié de rétrograde la généralisation du port du voile. « Nous avons connu une époque où nos mères fréquentaient les universités et les lieux de travail sans être voilées. C'est dans cet esprit que nous avons grandi. Pourquoi donc ce retour en arrière aujourd'hui ? » s'est interrogé Farouk Hosni, cité par le quotidien indépendant al-Masry al-Yom. Il a aussi estimé que « les femmes sont comme des fleurs (qu'il) ne faut pas cacher ».
En pleine rentrée parlementaire, marquée par de fortes tensions entre le parti d'Hosni Moubarak et les Frères musulmans, principale force d'opposition, les islamistes ont sauté sur l'occasion. La confrérie a exigé des excuses de Farouk Hosni, ou sa démission au profit « d'un ministre de la Culture qui respecterait notre Constitution, notre charia et nos valeurs », a déclaré son porte-parole, Hamdi Hassan. La Constitution égyptienne est fondée sur la charia (loi islamique). Des oulémas d'al-Azhar, la plus haute institution de l'islam sunnite, ont également demandé le départ de Farouk Hosni. Quant au prédicateur fondamentaliste Youssef el-Qaradaoui, exilé au Qatar, il l'a accusé de vouloir « revenir au temps de la colonisation ».
«Polémique politicienne»
Farouk Hosni, lui, fait front. S'il a affirmé que ses propos avaient été tenus lors d'une réunion informelle, qu'ils n'étaient pas destinés à être publiés et n'exprimaient pas une position officielle, il a refusé de s'excuser. « Je n'aime pas le voile, mais je n'empêche personne de le porter. Où est le problème ? » a lancé le ministre à la télévision, avant de contre-attaquer : « C'est cela, la démocratie dont parlent les Frères musulmans ? Que feraient-ils de moi et de mes opinions s'ils étaient au pouvoir ? »
Devant l'ampleur prise par cette affaire, certains commentateurs ont avancé l'hypothèse qu'elle pourrait avoir été délibérément provoquée pour détourner l'attention des Égyptiens de la réforme de la Constitution réclamée par l'opposition, Frères musulmans compris, pour introduire plus de démocratie. Évoquant une « polémique purement politicienne », le chercheur Amr Choubaki, spécialiste de la confrérie, estime pour sa part que « les Frères musulmans veulent montrer qu'ils défendent la majorité, dans un pays où 90 % des femmes sont voilées. » Et où, à l'exception de quelques penseurs réformistes, toutes les autorités religieuses sont d'accord pour qualifier le port du voile « d'obligation religieuse ».
En s'en prenant à Farouk Hosni, les Frères musulmans se sont aussi attaqués à un symbole du régime, au moment où Hosni Moubarak, 78 ans, affichait dimanche, lors de son discours de rentrée devant le Parlement, son intention de conserver le pouvoir jusqu'à sa mort. Ministre de la Culture depuis dix-neuf ans, Farouk Hosni est le plus ancien membre du gouvernement et un proche de Suzanne Moubarak, l'épouse du président égyptien. Mais il est surtout une cible facile, bête noire des islamistes comme des intellectuels de gauche, les premiers lui reprochant d'être trop libéral, les seconds d'avoir sabordé la culture égyptienne en cédant à la censure religieuse et en ne faisant rien pour combattre la corruption.
Victoires judiciaires
Amr Choubaki estime cependant que l'affaire devrait en rester là. « Les Frères musulmans considèrent avoir marqué un point. Ils ne gagneraient rien à pousser la confrontation plus loin. » D'autant que dans la guérilla politique qui les oppose au gouvernement, les islamistes viennent de remporter deux batailles judiciaires. Le Conseil d'État a d'abord rejeté un projet de loi élaboré par le ministère des Waqfs (biens religieux) pour interdire la tenue de rassemblements politiques dans les mosquées, les manifestations dans les lieux publics étant, elles, déjà bannies par la loi d'urgence, en vigueur depuis 1981. Il a ensuite jugé anticonstitutionnelle l'interdiction du port du niqab. Saisi pour avis par l'Université américaine du Caire, la première à avoir adopté une telle mesure pour « raison de sécurité », le Conseil d'État a estimé que le port du niqab fait partie des « droits humains » et que « personne ne peut empêcher une femme de le porter ». Une décision qui pourrait faire jurisprudence et qui inquiète bien plus les libéraux que le sort de Farouk Hosni.
Accueil 
