A lire certains deci-delà, on pourrait se demander si l'opinion qui se dit franchement et ouvertement
favorable à l'indépendance d'un Kurdistan notamment la partie turque du Kurdistan est condamnable ou pas. Pour la précision, "Kurdistan" signifie tout simplement territoire où l'on trouve des Kurdes qui y vivent de générations en générations depuis au moins l'Empire ottoman; les Ottomans eux-même appelaient cette région "Kurdistan", le terme n'est problématique que vis-à-vis de la dialectique nationaliste, donc récemment.
Que dit le droit international ?Tout d'abord ce qu'il y a de plus élémentaire :
La Charte des Nations Unies Art. 1 §2
- Citation :
- (Les buts des Nations Unies sont les suivants) :
§2 Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde.
La Charte des Nations Unies Art. 55
- Citation :
- En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, les Nations Unies favoriseront :
[...]
Ce sont les deux passages de la Charte qui laissent ouverte la possibilité à des populations assujetties colonialement, des minorités,... le droit à l'indépendance et la création d'un nouvel Etat pour elles-mêmes.
Historiquement, ce droit à disposer d'elles-mêmes s'est essentiellement appliqué aux populations coloniales assujetties aux pays européens. Au milieu des années '50, ça représente comme même* plus de deux milliards de personnes sous le joug européen.
Outre
la Charte des Nations Unies, il existe aussi des résolutions qui sont sources de droit international :
Rés. 1514 (XV) = Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.
Rés. 2625 (XXV) = Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies.
Cette dernière reconnaît dans sa 5ème partie : "Le principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes" conformément à
la Charte des Nations Unies.
- Citation :
- En vertu du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, principe consacré dans la Charte des Nations Unies, tous les peuples ont le droit de déterminer leur statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure, et de poursuivre leur développement économique, social et culturel, et tout Etat a le devoir de respecter ce droit conformément aux dispositions de la Charte.
Il est précisé en outre :
- Citation :
- Tout Etat a le devoir de s'abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait les peuples mentionnés ci-dessus dans la formulation du présent principe de leur droit à disposer d'eux-mêmes, de leur liberté et de leur indépendance. Lorsqu'ils réagissent et résistent à une telle mesure de coercition dans l'exercice de leur droit à disposer d'eux-mêmes, ces peuples sont en droit de chercher et de recevoir un appui conforme aux buts et principes de la Charte.
En réalité, le seul problème consiste, pour les minorités à se faire reconnaître
comme assimilables à des peuples colonisés. On l'entend très souvent dans le discours des représentants de ces minorités. Or, si cela a été entériné par la pratique pour l'immense majorité des territoires d'outre-mer sous contrôle européen, cela ne s'applique forcément pas aux autres cas.
Ainsi, les Tibétains, les Tchétchènes, les Palestiniens à titre d'exemples (et bien d'autres) et bien sûr les Kurdes ne sont pas considérés ouvertement comme des peuples "colonisés".
Ca ne veut pas dire que ces éléments du droit international ne s'appliquent pas à eux, ça veut simplement dire qu'il existe une absence de précédents car ils sont des cas en dehors du processus de décolonisation européen caractérisé comme "vraiment" colonial par la coutume.
La majorité des pays ont en fait résolu le problème par le régionalisme ou le fédéralisme (accorder une auto-gestion délimitée par la Constitution, la coutume à une minorité territoriale).
Dans le cas Kurdes, tout dépend d'où l'on se situe.
Irak : "fédéralisme" poussé à présent et grande autonomie accordée aux Kurdes.
Iran : reconnaissance d'un particularisme kurde, de la langue kurde mais refus de l'autonomie aussi bien par le Shah auparavant que par le régime des Mollahs ou, actuellement, d'Ahmadinejad.
Turquie : rien d'autres que l'Etat unitaire turc, aucune reconnaissance officielle d'une particularité kurde.
En tous cas, jusqu'ici, on ne peut pas dire que la revendication d'indépendance soit "condamnée" au niveau international, loin de là, elle est même plutôt encouragée. Néanmoins, les Etats qui contrôlent différentes ressources sur les territoires des minorités ne l'entendent pas de cette oreille d'où opposition entre un discours généraliste de la communauté internationale et le discours interne étatique.
Indépendance >< TerrorismePar ailleur, il faut aussi distinguer les groupes utilisant la violence pour atteindre leur objectifs, les groupes utilisant des moyens non-violents comme les partis politiques, donc la volonté de négocier, et le citoyen lambda.
Tout d'abord, la volonté de créer un Etat indépendant est interdit dans la Constitution turque :
Article 68 de l'
Anayasa de 1982 :
- Citation :
[...]
Siyasî partilerin tüzük ve programları ile eylemleri, Devletin bağımsızlığına, ülkesi ve milletiyle bölünmez bütünlüğüne, insan haklarına, eşitlik ve hukuk devleti ilkelerine, millet egemenliğine, demokratik ve lâik Cumhuriyet ilkelerine aykırı olamaz; sınıf veya zümre diktatörlüğünü veya herhangi bir tür diktatörlüğü savunmayı ve yerleştirmeyi amaçlayamaz; suç işlenmesini teşvik edemez.
[...]
Ceci est une particularité turque qui n'a rien à voir avec le droit ou la coutume internationale. Néanmoins, ça élimine la possibilité de partis politiques revendiquant une solution clairement fédérale.
Il reste donc deux possibilités : les groupes violents et l'opinion du citoyen lambda.
Mon avis est que le manichéïsme a été cueilli et cultivé pour que cet amalgame s'installe dans la tête des gens :
"Celui qui soutient l'idée d'un Kurdistan indépendant ne peut soutenir que la violence et le terrorisme."Donc par exemple : PKK, attentats contre les bus, contre les civils, etc...
Naturellement, on ne peut pas coller l'opinion à une organisation politique puisqu'il y a eu l'astucieux mécanisme d'interdire cette opinion au préalable en interdisant une catégorie de partis et par conséquent le jeu démocratique.
Ayant fait cette distinction importante entre soutenir
l'idée d'un Etat indépendant qui est plutôt normative à travers le monde, et en soi pas condamnable, et
soutenir le terrorisme, il y a encore une autre division dont il faut absolument traiter : celle qui opposent
les partisans de l'Etat indépendant et
les partisans de l'autonomie.L'ironie dans toutes cette histoire, c'est que le PKK a abandonné la dialectique de l'indépendance au profit celle de l'autonomie.
Il existe néanmoins une frange marginale qui continue de vouloir un Etat séparé (nationalistes Kurdes et un groupe dissident du PKK en voie de formation).
A côté de cela, l'opinion la plus répandue chez les représentants kurdes reste celle de
l'autonomie administrative. Le DEHAP, le parti de Leyla Zana (le Mouvement de la Société Démocratique) proposent des solutions de ce genre que même l'ancien leader du PKK a rejoint (sans doute par opportunisme).
On peut comprendre cette préférence pour deux raisons : d'une part, il faut que les partis trouvent des formulations tolérables par l'
Anayasa et, d'autres part, la perspective de l'adhésion à l'Union Européenne ne rend pas l'idée d'en être exclu via l'indépendance très réjouissante étant donné les aides accordées aux régions.
Le Kurdistan turc est par ailleurs une région très pauvres, qui accueillerait avec soulagement des enveloppes destinées au développement.
Représentation ? Il est clair que ces formations ne représentent pas à elles-seules tous les Kurdes et qu'en l'état, il est impossible de faire un sondage montrant les désirs des Kurdes. Etant donné qu'officiellement, les Kurdes n'existent pas, un sondage qui interrogerait "les" Kurdes est impossible, l'oeuf et la poule. C'est pour la même raison que l'on a du mal à estimer le nombre de Kurdes en Turquie. On a des variations qui vont de 10 à 25 millions. Le recensement étant impossible à réaliser, on aura du mal à connaître la proportion des Kurdes de Turquie dans un avenir proche, question de logique.
Il faut aussi tenir compte des
assimilés qui n'ont aucune implication dans le problème kurde mais qui parlent
en leur nom.
Souvent, des personnes qui ont un parent d'origine kurde mais qui ne parlent pas
la langue, ne connaissent pas les coutumes, ne connaissent pas la vie au Kurdistan turc, etc... et bien souvent dont les parents n'en savent pas plus étant donné que la politique de déplacement et d'assimilation à pris naissance il y a plusieurs décennies déjà. Ces personnes parlent le turc et vivent dans un environnement complètement turc et ne représentent en vérité aucunement l'aspiration des Kurdes qui connaissent les pénuries d'écoles, la présence militaire, les bouclages et bien plus. Ces personnes sont en fait devenues "turques" culturellement, la politique d'assimilation ayant fait son oeuvre sans quoi elle ne porterait pas son nom.
Seules les élections parlent
et les réactions des hommes politiques.
Il ne faut pas faire de réflexions très poussées pour comprendre qu'une personne ne parlant et ne comprenant que le kurde (ou n'importe quelle autre langue)
ne désire
pas qu'on lui impose une langue qu'elle ne comprend pas, un mode de vie qui lui est étranger. Une telle personne veut un enseignement dans sa langue et qu'on lui présente un ordre de valeurs près desquelles elle a été éduquée. C'est profondément humain. Je crois que n'importe qui peut comprendre cela. Or, des personnes ne parlant que le kurde, vivant dans un mode de vie complètement étranger au reste de l'Anatolie, on en rencontre beaucoup dans les montagnes du Kurdistan turc... et pas seulement, on en rencontre aussi par centaines de milliers (!!!) dans les bidonvilles d'Istanbul, de Diyarbakir et aussi à Ankara.
Les partis politiques traditionnels l'ont compris. De plus, le vote des Kurdes est fortement enraciné dans un tradition religieuse (c'est la première tendance). Le
Refah en son temps encadrait de nombreux Kurdes et actuellement les paroles d'Erdogan ne doivent pas surprendre puisqu'ils constituent une bonne part de l'électorat de son parti et qu'il ne tient sans doute pas à les perdre.
Les partis qui présentent l'autonomie culturelle dans leurs programmes arrivent en tête dans les grandes métropoles kurdes (Diyarbakir) et, ce, très largement. C'est assez logique puisque la culture kurde y est encore très présente.
Pour atteindre la volonté de ces personnes qui sont loin d'être une frange marginale contrairement aux Kurdes favorables aux méthodes violentes et pour obtenir leur confiance, il est clair que cela ne peut se faire que dans le cadre d'un changement institutionnel (accompagnée d'une forte démilitarisation de la région). Et sincèrement, j'espère que c'est ce qui se déroulera dans les prochaines années.
Je suis encore passé devant le Comité des Régions récemment, et j'aurais personnellement un plaisir désintéréssé par pure empathie le jour où une délégation kurde y aura son cabinet permanent i.e. quand ils seront dans l'UE.