THÉ Et FEU
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 Ni pardon ni oubli

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Faj
Âme Sentimentale qui se lie à l'Anatolie
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Faj


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MessageSujet: Ni pardon ni oubli   Ni pardon ni oubli EmptyJeu 29 Sep - 16:20

En Algérie, dans la Mitidja, ni pardon ni oubli
LE MONDE | 28.09.05 | 13h34 • Mis à jour le 28.09.05 | 13h34


Pas de grillons. Pas de chiens. Pas de cris d'enfants. Un silence de mort. D'Ouled Allal, il ne reste rien. Tout est plat et vide, ou presque. Quelques bâtiments sont encore debout, tous éventrés. Ici, une ancienne école. Là, un château d'eau, percé en plein coeur par un obus. Un peu plus loin, une mosquée. Portes et fenêtres ont disparu. Le minaret a tenu bon. Dans la ruine, dessous, campe une famille de sept enfants ­ – le dernier a huit mois ­–, sans eau, sans gaz, sans électricité. Ils sont arrivés de Blida en 2003, après cinq années d'errance.

A Raïs et Bentalha, lieux de massacre emblématiques de la "décennie de sang" que vient de traverser l'Algérie, la vie a repris. A Ouled Allal, à quelques kilomètres, elle s'est arrêtée depuis longtemps. Au début des années 1990, ce hameau de la Mitidja a eu le malheur de se retrouver au cœur de la tempête. L'endroit était stratégique. Grâce aux deux oueds qui le bordent, on passe, comme dans un corridor, du maquis de Chréa, en pleine montagne, au cœur de la capitale, Alger.

Jadis, pour se nourrir à Ouled Allal, il suffisait de tendre la main. Fruits et légumes poussaient en abondance. Un petit paradis. Et puis les Groupes islamiques armés (GIA) ont décidé que ce hameau, qui comptait alors 8 000 habitants, serait leur état-major régional. Ils ont installé une logistique et fabriqué des bombes. Pris en tenaille entre les insurgés et l'armée, les habitants ont vécu un enfer. Le village est devenu champ de bataille. Pour déloger les GIA, l'armée a fini par lancer ses avions. En 1999, il restait quelques demeures encore vaillantes. Il a fallu les raser, elles avaient toutes été piégées par les GIA. Ouled Allal était anéanti.

"Ici, c'était ma maison", dit Fouad, 25 ans, visage fermé. Jean et tee-shirt, il ramasse quelques débris de faïence. "Ce que vous voyez là, c'étaient les carreaux du salon. Là, c'était ma chambre. Là, celle de mes parents..." Quand son père a été exécuté à l'entrée du village en 1993, Fouad avait 12 ans. A Ouled Allal, c'était une première. Le père était pompier, autrement dit "agent de l'Etat" , donc "taghout" (impie) pour les islamistes. Un an après, la mère de Fouad fut enlevée. Les GIA la soupçonnaient d'avoir révélé aux forces de sécurité le site de leur cache d'armes, enterrée à deux pas de la maison. On n'entendit plus jamais parler de la mère kidnappée. Les enfants étaient désormais orphelins.

Que penser, quand on a vécu cela, d'un référendum qui vise à amnistier ceux des terroristes qui ont déposé les armes ? Fouad hausse les épaules, soudainement très las. "Si ça peut permettre à d'autres de ne pas mourir, je veux bien. Si c'est destiné à protéger ceux qui ont tué mes parents, non." Votera-t-il lui-même ? Il ne sait pas. Comme tant d'autres, la guerre a empêché Fouad de terminer ses études. A 16 ans, il s'est engagé comme "patriote", aux côtés des gardes communaux. Souvent critiqués par les associations de défense des droits de l'homme pour leurs abus, les "patriotes" ont prêté main forte à l'armée algérienne pendant toute la "décennie sanglante".

Aujourd'hui encore, il en reste quelques-uns à Ouled Allal. Des jeunes qui, chaque soir, endossent l'uniforme de garde communal et effectuent des rondes armées. Fouad s'angoisse de l'avenir. "J'ai peur, très peur. D'anciens 'terros' que j'ai combattus autrefois m'ont reconnu. Un jour, sur un marché de Larbâa, ils ont voulu me faire la peau. Si une patrouille de police n'était pas passée par là au même moment, je ne m'en serais pas sorti." Le jeune homme est tendu. "En permanence sur [ses] gardes", il se sent sans cesse "dévisagé". Il voudrait partir, mais où ? Son rêve, c'est l'Espagne, mais il n'a aucune chance d'obtenir un visa. "De toutes les façons, je ne peux pas rester ici. Ils sont partout, absolument partout...", répète-t-il, désespéré.

"Maintenant, venez chez moi, c'est mon tour !" Visage émacié par le chagrin et les nuits blanches, Ali Merabet a encore la force de cultiver une forme d'humour noir. Professeur d'éducation physique, le jeune homme nous fait visiter ce qu'il appelle son "ancienne maison". En fait, il n'en reste rien. Que des souvenirs. "Là-bas, sur ce terrain, je jouais au football avec mes copains. Là, le long des orangers, on avait creusé un bassin où on se baignait tous ensemble." Le bonheur. Et puis un jour, il y a dix ans, les deux frères d'Ali sont enlevés par les terroristes. Ils ne sont jamais revenus. "Depuis, je les cherche. Chaque fois que j'ai un moment de libre, je me mets en chasse. Aussi longtemps que je n'aurai pas retrouvé leurs corps, je ne laisserai personne en paix", assure Ali avec un étrange mélange de calme et de fièvre contenue.

Ali Merabet est connu à travers toute l'Algérie. Avec un avocat âgé d'une trentaine d'années, comme lui, il a fondé Somoud, une association qui regroupe les familles des personnes kidnappées. On accuse régulièrement Somoud de faire le jeu de l'armée. En désignant les islamistes, l'association disculperait les forces de sécurité, tenues pour responsables de milliers de disparitions par beaucoup d'organisations internationales.

Ali Merabet se moque de ces soupçons. Il ne retient qu'une chose : il a perdu ses deux frères et le pouvoir n'a rien fait pour l'aider à retrouver les coupables. "Je veux pouvoir faire mon deuil. Donnez-moi un seul os de mes frères, et j'en ferai une tombe !" Le référendum ? La question soumise à l'approbation populaire ­ "Etes-vous d'accord avec le projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale ?" ­ lui paraît absurde. "Comment pourrait-on être contre la paix et la réconciliation nationale ?", demande-t-il avec exaspération. Ce qui le choque, c'est la charte, précisément, qui "impose à la victime d'accorder son pardon, et non à l'agresseur de présenter ses excuses". Il s'indigne des "scénarios" de campagne orchestrés par le pouvoir, comme cette scène diffusée à la télévision et montrant une veuve, dont l'époux a été assassiné par les islamistes, qui étreint dans ses bras la mère d'un terroriste.

"On présente les choses au peuple de la façon la plus banale possible. On lui fait miroiter les indemnisations financières à venir, on tente d'acheter son silence." Ali a le sentiment de voir s'approcher "un gigantesque tsunami" avec ce référendum, qu'on présentera "comme ayant été approuvé à 99 % !". Il dénonce le "chantage" exercé auprès de la population. "On lui dit : si vous aimez votre pays, vous devez voter oui." Mais il n'y aura à ces yeux "ni vérité ni justice" .

Le temps du Front islamique de Salut (FIS) est-il passé pour lui ? Ali Merabet reste méfiant. "Les gens ne lui accordent plus leur soutien, même dans les coins les plus reculés où les attentats et les assassinats se poursuivent. Mais le projet du FIS ­ – à qui je dénie le droit de parler au nom de l'islam – ­ existe toujours. 'Ils' ont des 'yeux' dans les villages. Et puis, regardez leur tenue : tant qu'ils portent la barbe et la gandoura [bure], c'est qu'ils sont restés militants. Il ne leur manque que l'arme pour que ça redémarre !"

A quelques kilomètres de là, Khadija, Houria et Malika, la cinquantaine, revêtues toutes trois de hidjabs cache-misère, ne se font guère d'illusions non plus. La vérité sur la mort de leurs maris, elles ne la connaîtront sans doute jamais. Houria et Malika sont certaines que les assassins étaient des terroristes – ­ "on les a reconnus", disent-elles. Khadija n'a pas de certitude. Forces de sécurité ou islamistes, elle ne sait pas qui est responsable de son malheur. Le référendum ? Elles sont pour, mais "pas du fond du cœur". Si on les sortait du dénuement dans lequel elles se débattent depuis dix ans avec leurs enfants, elles seraient plus convaincues. Non qu'elles cherchent à monnayer leur souffrance. Elles estiment simplement qu'une réparation financière élevée serait le signe que l'Etat reconnaît le lourd tribut payé par leurs familles. "Pourquoi ne pas donner à nos maris le statut de chahid [martyr de la guerre de libération]? Après tout, eux aussi ont donné leur vie au pays !"

Comme souvent en Algérie, la "première guerre d'Algérie" (1954-1962) se superpose à la seconde dans les conversations, s'étonnent-elles. En lançant récemment de furieuses tirades contre la France, la sommant de "demander pardon à l'Algérie", le président Bouteflika a attisé les braises. Le pardon ? Malika, la plus âgée de nos trois veuves, l'accorde volontiers à l'ancienne puissance coloniale qui a torturé son défunt mari. Mais il y a une chose qu'elle ne comprend pas. "Pourquoi ne pas pardonner aussi aux harkis, les laisser venir ici, puisque aujourd'hui on pardonne aux terroristes ?", s'interroge-t-elle, très sincère.

Zoubida, 45 ans, pleure en racontant son histoire. Tee-shirt rose et longue jupe souple, les cheveux relevés en queue de cheval, Zoubida se désespère d'avoir deux filles. Sa hantise est qu'il puisse leur advenir la même chose qu'à elle, il y a dix ans. Zoubida venait de perdre deux de ses frères, l'un, militaire, abattu par les islamistes, l'autre, employé dans une société d'Etat, kidnappé, jamais revu. Une nuit de 1995, ses parents sont à leur tour enlevés avec une de leurs filles. On ne les reverra plus. La même nuit, Zoubida reçoit la visite d'un commando armé. Elle est violée par quatre types du groupe – ­ devant son mari et son fils de 7 ans. Sous antidépresseurs depuis ce jour, suivie par une psychologue, Zoubida n'espère plus qu'une chose : qu'on la sorte, elle, son mari et leurs trois enfants, du taudis sans eau, sans gaz et sans électricité où elle a trouvé refuge, à Sidi Moussa. Oublier ? Pardonner ? Elle sursaute : "J'éteins la télévision dès que je vois le président nous parler de cela !" Comme pour Khadija, Houria et Malika, une assistance financière conséquente serait pour elle le signe qu'on a pris en compte sa souffrance.

"Il aurait 31 ans aujourd'hui. J'essaie souvent d'imaginer la tête qu'il aurait, mon beau brun." Fatma Zohra Boucherf, vice-présidente de l'association SOS-Disparus, parle toujours avec tendresse, calme et précision de son fils disparu. Le 25 juillet 1995, Riad n'a pas été enlevé par des islamistes mais par des policiers. Veuve à 24 ans, revêtue d'un hidjab et d'un foulard islamique, Fatma "veut" la vérité. "Je ne pourrai pas faire revivre mon fils, mais il me faut une tombe. Si l'Etat nous demande de pardonner aux terroristes, c'est bien qu'il sait que ses agents ont fait pire", dit-elle doucement. Comme beaucoup de mères de disparus, Mme Boucherf dit "oui à la paix et à la réconciliation nationale, mais pas avant de connaître la vérité".

Safia Fahassi, elle, a vu pour la dernière fois son mari, journaliste, le 6 mai 1995. Là encore, tous les témoignages désignent les forces de sécurité, pas les islamistes. Le disparu était suspecté de sympathie pour le FIS, ses confrères n'ont donc pas bougé. Alors mère d'un bébé de quatre mois, la jeune épouse allait bientôt découvrir que "les droits de l'homme peuvent être divisibles" . Où qu'elle frappe, les portes restent fermées. Safia porte le foulard islamique, elle est "pestiférée". Certaines sont "mères de terroristes". Elle est "femme de terroriste".

Mais Safia évolue. Elle devient membre de la Coordination nationale des familles de disparus, contribue à faire reconnaître le drame spécifique des kidnappés par l'armée puis choisit d'élargir son combat. "Au début, je ne cherchais qu'à obtenir des informations sur mon mari. Maintenant, je me bats pour l'établissement d'un Etat de droit", explique-t-elle tranquillement. Pour sa fille, qui a dix ans, Safia ne veut plus "chasser un fantôme". Au fond, elle sait que la vérité "n'est pas pour demain. Ils ont tout fait pour faire disparaître les preuves", dit-elle, lucide. Mais Safia n'est plus désespérée. Elle suit attentivement ce qui se passe en France, depuis cinq ans, à propos de la "première guerre" d'Algérie. "Quarante-cinq ans après, certains se mettent à parler. Tôt ou tard, il se produira la même chose ici. La vérité surgira un jour, j'en ai la conviction, et c'est mon réconfort."
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