L'UE n'exige pas les excuses de la Turquie
La France isolée en Europe sur le dossier arménien
Bruxelles : de notre correspondante Alexandrine Bouilhet
[23 avril 2005]
Dans ses négociations avec Ankara, l'Union européenne n'a jamais exigé de la Turquie une reconnaissance du génocide arménien. Et pour cause : aucun État membre, pas même la France, ne l'a encore explicitement demandé. La question arménienne ne figure pas parmi les critères officiels d'adhésion de la Turquie. Le silence d'Ankara sur le massacre de 1915 n'a pas été un obstacle à la décision des Vingt-Cinq, le 17 décembre dernier, d'ouvrir les négociations avec la Turquie, le 3 octobre. A l'occasion de ce sommet européen, les Arméniens étaient venus en bus à Bruxelles, manifester leur colère. Sans aucun effet sur les dirigeants européens, à l'époque, bien plus préoccupés par la question chypriote.
L'anniversaire du génocide fournit aux Arméniens une nouvelle occasion de faire pression sur Bruxelles. La Fédération européenne des Arméniens a appelé, jeudi, la Commission et les États membres à faire pression sur la Turquie pour exiger une reconnaissance officielle du génocide. Au même moment, les ambassadeurs des États mem bres préparaient la prochaine réunion des ministres des Affaires étrangères avec leur homologue turc, mardi, à Luxembourg. Dans leurs conclusions, pas une ligne ne sera consacrée à l'Arménie. Le reconnaissance de Chypre par Ankara reste leur principale priorité.
Cette frilosité européenne reflète l'état embryonnaire du débat. Seuls trois États membres sur Vingt-Cinq ont officiellement reconnu le génocide de 1915 : la Grèce dès 1996, la Belgique en 1998 via le Sénat, et la France en 2001 par le biais du Parlement. L'Allemagne, qui compte plus de deux millions de Turcs, n'a jamais reconnu la réalité du génocide, pas plus que l'Espagne. La Grande-Bretagne reste très prudente sur la question. En Italie, la Chambre des députés a bien adopté, en 2001, une résolution invitant le gouvernement à faire pression sur la Turquie, pour reconnaître le génocide, mais cette démarche est restée sans suite. Seule la France, où vit une importante communauté arménienne (400 000 personnes), relance régulièrement le débat, mais apparaît très isolée.
Pressé d'agir, Jacques Chirac se trouve en porte à faux car il est aussi l'un des plus fervents défenseurs de la candidature d'Ankara. Malgré la pression des Arméniens de France, Chirac n'a pas voulu, le 17 décembre, faire de la reconnaissance du génocide une condition à l'ouverture des négociations avec Ankara. En revanche, le chef de l'État a mis en garde la Turquie pour l'avenir. «Le travail de mémoire de la Turquie dans cette affaire est incontournable», a-t-il affirmé à Bruxelles. «Si ce travail n'était pas fait d'ici la fin des négociations, les Français en tiendront compte dans leur jugement sur le traité d'adhésion.» Jacques Chirac a promis aux Français un référendum sur l'entrée de la Turquie dans l'Union «d'ici dix ou quinze ans».