Une romancière acquittée d'atteinte à l'identité turque
La romancière turque Elif Shafak, poursuivie pour ses écrits sur le massacre des Arméniens, a été acquittée par le tribunal d'Istanbul.
Son procès était considéré comme un nouveau test de la situation des droits de l'homme et de la liberté d'expression en Turquie, pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne. Bruxelles a estimé que son acquittement constituait une "bonne nouvelle" mais qu'il restait des progrès à accomplir.
Elif Shafak, qui a accouché le week-end dernier, est encore à la maternité et n'a pas assisté à l'audience, dont l'ouverture a été marquée par des incidents entre nationalistes et militants de gauche.
Le juge Irfan Adil Uncu a annoncé peu après le début des débats qu'elle était acquittée pour manque de preuves.
Comme nombre d'écrivains, de journalistes et d'universitaires, elle était poursuivie en vertu de l'article 301 du code pénal qui sanctionne les insultes à l'identité turque et dont l'Union européenne réclame l'abrogation.
"Je suis très heureuse de cette issue, mais seulement à titre personnel. Tant que l'article 301 restera en vigueur et interprété ou déformé comme c'est le cas, il y aura bien d'autres affaires similaires. Ce n'est pas la dernière", a-t-elle dit à Reuters après le verdict.
"J'ai eu davantage de soutien de la part du gouvernement, de l'Etat, la sécurité était bien meilleure et, en second lieu, le soutien émanant de la société civile, en particulier des médias, était plis fort", a-t-elle ajouté en établissant une comparaison avec le procès d'un autre écrivain turc, Orhan Pamuk, poursuivi pour des faits similaires et ayant bénéficié d'un acquittement pour faute de procédure.
"JUGE SOUS PRESSION"
A Bruxelles, la Commission européenne, qui doit publier le 8 novembre prochain son évaluation annuelle des progrès accomplis par Ankara sur la voie de son adhésion, s'est félicitée de l'acquittement de Shafak mais souligne que le code pénal turc "constitue toujours une menace significative à l'égard de la liberté d'expression en Turquie".
A l'extérieur du tribunal d'Istanbul, des unités de police anti-émeutes sont intervenues pour tenter de mettre un terme aux échauffourées entre plusieurs dizaines de nationalistes et de gauchistes.
"Le juge était sous pression et le verdict couru d'avance, c'est pour cela que nous nous sommes retirés du dossier", a dit Ahmet Ulger, avocat des parties civiles qui a quitté le tribunal avant le verdict.
Dans son roman "Le Père et le Bâtard", Elif Shafak, qui est âgée de 35 ans, met en scène des personnages de fiction arméniens qui font des remarques désobligeantes envers les Turcs et évoquent un génocide d'Arméniens commis par les Turcs de l'Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale.
Or, la Turquie nie catégoriquement que 1,5 million d'Arméniens aient été tués dans le cadre d'un génocide systématique, à cette époque. Ankara assure que des chrétiens arméniens comme des musulmans turcs ont été tués lors d'un conflit survenu entre eux à cette période-là.
Son procès avait été intenté à l'initiative du procureur Kemal Kerincsiz, lequel a également tenté en vain de faire condamner Orhan Pamuk.