La santé au prix de la concurrence
L'événement ne manque pas de piquant. Bill Gates, qui a bâti sa fortune informatique dans la jungle de la concurrence, puis l'a consolidée par la tentation monopolistique, a décidé de renoncer à ce grand principe. La concurrence, moteur de la stimulation économique, n'est-elle pas bonne à tout faire? Bill Gates pense que non.
Cette révolution mentale s'explique par l'urgence humanitaire de la lutte contre le sida. L'Afrique subsaharienne est paralysée par une épidémie qui touche entre 33 et 46 millions de personnes dans le monde, dont deux tiers sur le continent africain où l'accès aux médicaments est très limité. Les scientifiques triés sur le volet, appelés à recevoir les centaines de millions de dollars de la Fondation Gates pour mettre au point un vaccin contre le VIH, devront tout mettre en commun. Leurs données scientifiques et l'état d'avancement de leurs travaux, mais également les outils expérimentaux, notamment les animaleries.
Le succès de la lutte contre l'épidémie est à ce prix. Celui de l'abolition de la concurrence scientifique chère aux laboratoires pharmaceutiques. Le partage instantané des résultats permettra de les comparer au niveau mondial et de détecter immédiatement les plus prometteurs.
Le coup de pouce du milliardaire, dont le poids financier de la fondation, plus de 60 milliards de dollars, dépasse les budgets de la santé de dizaines d'Etats dans le monde, s'accompagne aussi d'une autre condition: la renonciation aux droits de propriété intellectuelle. C'est le seul moyen de rendre les médicaments économiquement accessibles aux patients des pays en développement.
Or ces droits sont, comme la concurrence, à la base du système de recherche scientifique géré par les grandes entreprises pharmaceutiques. Bill Gates, l'air de ne pas y toucher, fait la promotion d'un nouveau modèle économique dans le secteur de la santé. Il met un frein à la globalisation du marché des médicaments. Quel est le premier qui osera s'en plaindre?