Les intérêts français menacés en Turquie
Jeanne Lhoste
L'examen prévu le 18 mai à l'Assemblée nationale d'un texte de loi punissant la négation du génocide arménien soulève la colère d'Ankara.
LES INTÉRÊTS économiques français se retrouvent otages d'un bras de fer diplomatique engagé par la Turquie contre Paris. Deux propositions de loi qui visent à pénaliser la négation du génocide arménien, examinées à l'Assemblée nationale le 18 mai, ont en effet déclenché la colère d'Ankara. La Turquie multiplie les pressions pour tenter d'empêcher ce vote et contre-attaque sur tous les fronts : l'ambassadeur turc à Paris a été rappelé en début de semaine pour «consultations» et les menaces de représailles contre les entreprises françaises en cas d'adoption de ce texte sont clairement évoquées par les responsables politiques.
Hier après-midi, le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a convoqué les représentants de grandes entreprises françaises installées dans le pays pour évoquer le problème. Le week-end dernier, Mehmet Dulger, le président de la commission des affaires étrangères au Parlement turc, a annoncé qu'un boycott des produits français était envisageable, de même que la mise à l'écart de la France dans les procédures d'appels d'offres.
Un appel au boycott des marchandises françaises circule déjà sur Internet et dans les ministères : Axa, Danone, L'Oréal, Renault, Lafarge et toutes les marques présentes en Turquie apparaissent sur cette liste rouge. Par ailleurs, les médias turcs passent d'ores et déjà en revue les appels d'offres les plus sensibles dont les Français pourraient être évincés. Areva qui convoite la construction de la première centrale nucléaire turque est menacé au premier chef . Un groupe canadien a déjà été exclu de la liste des candidats, Ankara n'ayant pas apprécié les déclarations du premier ministre sur le génocide arménien.
Ankara veut frapper fort
Face à la détermination turque, le président de la chambre de commerce franco-turque ne cache pas son inquiétude pour les 250 entreprises françaises déjà implantées là-bas et pour les exportations vers la Turquie. Elles ont atteint 4,7 milliards d'euros l'an dernier. «Les échanges entre les deux pays subiraient des dommages irréparables», estime Raphaël Esposito. Lundi, la chambre de commerce a même adressé une lettre ouverte à Jacques Chirac pour lui faire part du «préjudice irrémédiable» que provoquerait la loi. Même constat de la part du directeur de Carrefour, Luc de Noirmont : «Les députés français ne soupçonnent pas à quel point le sujet est sensible en Turquie. Ils sous-estiment totalement les répercussions de cette loi, irresponsable sur le plan économique.»
En 2001, la loi votée par la France et qui reconnaissait le génocide arménien avait déjà pénalisé les entreprises nationales : des contrats avec Thomson et Alcatel avaient été annulés ; les PME avaient subi de multiples tracasseries administratives, de même que Peugeot ou Danone. Et des entreprises turques avaient stoppé leurs importations de France... Mais la crise économique avait finalement fait passer ces mesures de rétorsion au second plan. Le contexte diffère totalement en 2006. Enhardie par sa forte croissance, la Turquie est bien décidée à frapper fort.