Les « talibans » du Nigeria

Le Nigeria face à un péril interne

Après deux opérations de guérilla matées l’an dernier par les forces de sécurité, les « talibans » du Nigeria sont entrés en clandestinité à Maiduguri (nord-est), capitale de l’Etat de Borno, et espèrent toujours l’avènement d’un régime islamiste.

« Allah a autorisé tous les musulmans à combattre pour établir un gouvernement islamique sur le monde. Un jour, l’Islam régnera au Nigeria et partout », déclare à l’AFP Aminu « Tashen-Ilimi », surnom signifiant « voie nouvelle de la connaissance ». C’est la première fois qu’un membre de ce groupe, baptisé « talibans » après une série d’attaques en 2004, accepte de parler à la presse internationale.

Coiffé d’un keffieh, foulard des combattants palestiniens, les yeux illuminés, selon la version de l’AFP, il développe avec fougue la rhétorique des musulmans les plus farouches et ne cache pas son admiration pour Oussama Ben Laden, chef d’Al Qaîda. « Lorsque je me suis repenti et ai connu la vraie foi, j’ai tout quitté : ma famille, mon travail et je suis parti », explique-t-il, tout en refusant de donner des détails. Il refuse le surnom de « taliban », mais est « prêt à prendre les armes ». « Je préfère moujahid (combattant), je ne connais que les talibans d’Afghanistan que j’estime beaucoup », explique le jeune homme, escorté d’un gaillard en grand boubou, silencieux et approbatif. « Ceux qui ont combattu à Kanama et à Gwoza ne sont que des musulmans qui ont fait leur devoir », ajoute-t-il en référence aux deux attaques attribuées aux « talibans » en janvier et septembre 2004. Environ 200 intégristes, en majorité des étudiants plutôt aisés originaires de Maiduguri, avaient alors établi une base à Kanama (près de la frontière nigérienne) et attaqué en janvier plusieurs postes de police. Une cinquantaine avaient été arrêtés, nombre d’autres tués par l’armée. En septembre, une soixantaine de survivants avaient attaqué deux commissariats à Gwoza et Bama, près de la frontière camerounaise, tuant quatre policiers et un civil. L’armée les avait pourchassés dans les montagnes. Bilan officiel : 28 rebelles tués, cinq arrêtés au Cameroun. Selon un proche du groupe, « ceux qui ont survécu se cachent à Maiduguri ou à l’étranger. Ils reviennent petit à petit, mais se cachent sous la pression des services de sécurité. Tashen-Ilimi est l’un des commandants ». Religieux renommé de Maiduguri, Mohammed Yusuf, 36 ans, a été arrêté deux fois après ces attaques par les services de sécurité comme chef des « talibans », avant d’être relâché. Ces jeunes « ont étudié le Coran avec moi et d’autres. Après, ils ont voulu quitter la ville, jugée impure, et partir à la campagne, estimant que les musulmans qui ne partageaient pas leur idéologie étaient aussi des infidèles », raconte-t-il. « Ils me considèrent aussi comme un infidèle », ajoute-t-il, assurant qu’il a tenté de les raisonner et que des intégristes venus de différentes régions du Nigeria les ont rejoints. « Je crois que le système de gouvernement de l’Islam doit être établi dans tout le Nigeria, si possible dans le monde entier, mais par le dialogue », dit-il, précisant qu’il continue d’enseigner « à 3000 étudiants ». « Des criminels et des bandits » Pour Usman Chiroma, porte-parole de l’Etat de Borno, les « talibans » ne sont « que des criminels, sans organisation, sans agenda politique, qui cachent leurs activités criminelles derrière l’Islam », et les services de sécurité « sont sur leurs traces ». Concernant sa stratégie de prise du pouvoir, Tashen-Ilimi reste laconique : « Tout ce que je vais faire se trouve dans le Coran, je ne vous en dirai pas plus, je n’attends rien de bon des infidèles », répond-il dans un sourire. De leur côté, des religieux musulmans de Kano, la grande ville du nord du Nigeria, région majoritairement musulmane, critiquent vivement l’idéologie fanatique des « talibans », qu’ils qualifient de déviation de l’Islam. Au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique avec quelque 130 millions d’habitants, dont un peu plus de la moitié sont musulmans, l’Islam est de tradition soufi, plutôt tolérante. Mais ces dernières années sont apparus des extrémismes, alors que la charia a été établie dans 12 des 36 Etats du pays depuis 1999. Le Nord-Est, où se trouvent les principales installations pétrolières du pays, connaît par ailleurs une contestation des Ijaws,
une ethnie locale, notamment contre les multinationales « qui écument les richesses du pays ». En septembre 2005, l’Etat nigérian, soutenu par les grandes compagnies pétrolières occidentales, a engagé une délicate épreuve de force qui a risqué de provoquer l’embrasement du premier pays producteur de pétrole africain. Les militants armés de la Force des volontaires du peuple du delta du Niger (NDPVF) avaient en effet menacé de « faire sauter toutes les installations » après que leur chef Alhaji Mujahid Dokubo Asari eut été arrêté. Les insurgés réclamaient un partage plus équitable des richesses pétrolières essentiellement exploitées dans leur région au prix de terribles atteintes à l’écosystème local. C’est cette brutale indifférence qui est reprochée aux autorités fédérales d’Abuja (la capitale, située dans le centre du pays) par les populations du Nord, confrontées à la même misère que celles du Sud.