L'armée doit faire face au défi de l'intégration des beurs
Selon une enquête demandée par l'état-major, leur loyauté est souvent mise en cause, sans véritable raison
L'armée doit faire face au défi de l'intégration des beurs
Cécilia Gabizon
[23 septembre 2005]
Pour la première fois depuis la période coloniale, l'armée française s'interroge sur la présence massive de musulmans en son sein. Craignant une pression communautaire, elle a chargé l'Institut français des relations internationales (Ifri) d'une enquête sur «Les militaires français issus de l'immigration» *.
Ce rapport, réalisé après plusieurs mois de recherche et une centaine d'entretiens, bouscule quelques idées reçues sur leur intégration. Plus qu'une menace communautariste, il relève les réticences d'une partie de la hiérarchie face à la pratique musulmane. Plus grave, une vaste suspicion entoure les recrues issues de l'immigration, de plus en plus nombreuses. Pour la plupart maghrébins, ils représenteraient entre 10 et 20% du personnel militaire. «Leur loyauté est sans cesse questionnée», note Christophe Bertossi, responsable du programme immigration à l'Ifri, auteur du rapport avec la sociologue Catherine Whitol de Wenden.
Truffé d'anecdotes, ce document décrit un quotidien émaillé de blagues racistes et de gestes déplacés qui contraste avec l'engagement que l'armée exige d'eux. Même gradés, les officiers maghrébins subissent les railleries : on adopte l'accent racaille pour leur parler, on multiplie les allusions à leurs origines.
Les recrues, qui pensaient trouver la France dans l'uniforme, sont souvent déçues. La plupart se sentent sur la sellette et cachent leur double nationalité, croyant qu'elle pourrait leur causer des ennuis. Certains y renoncent, suivant des conseils officieux. Mais «Ils n'ont pas de problème d'allégeance», assure Christophe Bertossi. «Ils se sentent français. La carte d'identité du pays d'origine est vécue uniquement comme une facilité pour aller visiter la famille.»
Les militaires issus de l'immigration se montrent, selon l'étude, «aussi patriotes que les autres» et particulièrement motivés pour lutter contre le terrorisme, qui ternit, selon eux, l'image de l'islam. S'ils refusent d'envisager un conflit avec leur pays d'origine, ils assurent qu'in fine, ils «seraient fidèles à l'armée», comme leurs parents l'ont été avant eux. Car tous évoquent un ancêtre, combattant de l'armée coloniale ou harki, qui s'est battu pour la France.
L'état-major des armées n'a jamais constaté de trahison ou de mutinerie pour raisons communautaires. Mais il reste prudent. Certes, l'armée entend promouvoir le recrutement de ces jeunes, dont elle a de plus en plus besoin pour assurer ses missions, et s'apprête à créer des postes d'aumôniers musulmans. Mais elle craint d'alimenter le communautarisme religieux en facilitant la pratique.
Pour l'instant, l'islam des casernes reste bridé. Les textes prévoient des repas halal, des substituts au porc et un aménagement des horaires en période de ramadan, mais l'application demeure aléatoire. Les pratiquants, qui passent parfois plusieurs jours sans vraiment manger faute de viande halal, finissent par transiger. D'autres renoncent au ramadan pour tenir le rythme. «La plupart des musulmans ont une pratique individuelle, bricolée», résume le chercheur. A défaut d'interlocuteur au sein de l'armée, ils prennent conseil auprès d'imams extérieurs. Un risque de dérive qui plaide pour la nomination rapide d'un aumônier formé et la lutte contre les discriminations. Car l'armée le sait : elle joue sa cohésion en cas de conflit.
* Rapport commandé et validé par le centre d'études en sciences sociales de la Défense.