La tolérance sort du placard républicain aux États-Unis
La nouvelle, confirmée la semaine dernière, égayera le Noël du vice-président républicain Dick Cheney et de sa femme Lynn : leur fille Mary, 37 ans, donnera naissance en juin à leur sixième petit-enfant. Ce sera le premier bébé de la cadette de la famille Cheney, qui est « mariée » depuis 15 ans à Heather Poe, une femme de 45 ans. La science, plutôt que l'intervention du Saint-Esprit, a rendu possible cette grossesse.
« Le vice-président et Mme Cheney attendent avec une grande impatience la naissance de leur sixième petit-enfant », a déclaré une porte-parole de la vice-présidence.
Ce que les Cheney acceptent dans la joie constitue cependant « le cauchemar de la droite religieuse », soutient le commentateur Andrew Sullivan, qui est à la fois gai et conservateur. De fait, la grossesse de Mary Cheney illustre la grande tolérance des membres de l'administration Bush à l'égard des homosexuels et de leur vie en couple, non seulement comme partenaires mais également comme parents.
Cette tolérance n'est évidemment pas la politique officielle du président et de son parti, qui proposent d'amender la Constitution des États-Unis pour interdire le mariage entre personnes de même sexe. Cette position leur assure l'appui des groupes de la droite religieuse, qui s'opposent au concept même de l'homosexualité, vue comme un péché ou une maladie.
Mais cet appui est rudement mis à l'épreuve ces jours-ci. Plusieurs groupes de la droite religieuse ont condamné la grossesse de Mary Cheney. Président et fondateur de Focus on the Family, le révérend James Dobson s'est exécuté cette semaine dans les pages du magazine Time, où il a refusé de critiquer l'administration Bush ou la famille Cheney.
« Notre inquiétude n'a rien à voir avec la politique », a écrit le pasteur du Colorado, dont le groupe est l'un des plus importants de la droite religieuse. « Nous nous préoccupons d'assurer le meilleur environnement familial pour la santé et le développement des enfants et, par extension, de la nation entière.
« Il ne s'agit pas non plus de dire que Cheney et Poe n'aimeront pas leur enfant, a ajouté le révérend. Mais l'amour ne suffit pas Les deux femmes les plus aimantes du monde ne peuvent fournir un papa à un petit garçon, tout comme les deux hommes les plus aimants ne peuvent servir de modèles à une petite fille. »
Janice Crouse, porte-parole d'une autre association clé de la droite religieuse Concerned Women for America , s'est montrée moins circonspecte. « Elle (Mary Cheney) montre un exemple déplorable aux jeunes à une époque où l'absence du père est le problème social le plus préoccupant auquel notre pays soit confronté », a-t-elle déclaré.
Le ton plutôt défensif du révérend Dobson n'est sans doute pas étranger aux ennuis d'un de ses alliés les plus importants au sein de la droite religieuse. Il s'agit d'un autre pasteur du Colorado, Ted Haggard, qui s'est reconnu « coupable de débauche sexuelle » au début du mois de novembre, après avoir été accusé d'avoir fait appel à un prostitué masculin.
Les sermons de la droite religieuse contre l'homosexualité n'ont jamais sonné aussi faux. Et les gestes de l'administration Bush n'ont jamais autant contredit ses paroles.
La famille Cheney n'est pas un cas unique. En octobre dernier, la secrétaire d'État Condoleezza Rice a assermenté un homosexuel (Mark Dybul) à un poste d'ambassadeur en présence de son partenaire et de sa « belle-mère » (dixit Condi).
Par son choix de mots, la chef de la diplomatie américaine reconnaissait le statut d'époux de son employé. Elle a même salué le couple et sa famille devant la First Lady Laura Bush, qui était présente lors de la prestation de serment.
La tolérance est donc en train de sortir du placard républicain. Viendra-t-elle à bout de l'opposition de la droite religieuse au mariage homosexuel?
La grossesse de Mary Cheney constitue un jalon important sur cette question morale, religieuse et politique. À la veille de l'élection présidentielle de 2004, Mary Cheney avait songé à démissionner de son poste au sein de la campagne Bush-Cheney pour protester contre la position républicaine sur le mariage homosexuel. Elle ne l'a pas fait. Au cours de la dernière année, cependant, elle s'est transformée en militante.
« Cet amendement sur le mariage homosexuel revient à inscrire le principe de la discrimination dans la Constitution. C'est une mauvaise loi », a-t-elle déclaré en mai sur Fox News, la chaîne préférée des conservateurs.
Et là voilà enceinte. Ce n'est peut-être pas un geste militant, mais son importance dépasse son couple.