THÉ Et FEU
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 "Je n'ai jamais cherché à devenir une paria"

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AuteurMessage
Pedro
Honorable Aventurier du Baklava Envoûtant
Honorable Aventurier du Baklava Envoûtant



Nombre de messages : 182
Localisation : bruxelles
Date d'inscription : 14/04/2005

"Je n'ai jamais cherché à devenir une paria" Empty
MessageSujet: "Je n'ai jamais cherché à devenir une paria"   "Je n'ai jamais cherché à devenir une paria" EmptyJeu 2 Nov - 22:55

Hello!

Je vous offre une tite lecture.
Le Soir a publié un des articles qui ont été lu à la soirée d'hommage à Anna Politkovskaïa.
Soirée où je ne vous ai pu crénondecrénon... Bon, la soirée fut un véritable succès (publi, sensiibilisation et réaction des médias...), sans oublier le buffet russe qui fut une merveille.

Mes petits loups (pas gris...), vous avez raté un de ses trucs!

Parce que je suis gentil, je fais en sorte que vous ne ratez pas tout: donc bonne lecture:

Citation :
Anna Politkovskaïa, héroïne du journalisme russe indépendant, a été assassinée le 7 octobre. Voici un de ses derniers textes, retrouvé dans son ordinateur après sa mort.

I l y a un vieux mot russe, « kovërny », dérivé du mot « kovër » (tapis). Il signifie à peu près « clown », mais il est plus précis. Le « kovërny » entrait sur les pistes de cirque et s'en donnait à coeur joie pour amuser le public. Il avait pour mission d'éviter à tout prix de l'attrister. Lorsqu'il n'arrivait pas à faire rire les messieurs qui étaient venus pour le spectacle, le public le sifflait et le directeur du cirque le renvoyait aussitôt.
La quasi-totalité de la génération actuelle de journalistes et des médias existants sont justement des « kovërnye ». Nous tous, nous formons une troupe de ces clowns. Notre tâche consiste à distraire le grand public et si l'on écrit quelque chose de sérieux, c'est uniquement pour montrer combien la « verticale du pouvoir » sous toutes ses formes est magnifique. Je rappellerai que ces cinq dernières années, le président Poutine n'a cessé de construire une « verticale du pouvoir », qui consiste d'un bout à l'autre pour lui personnellement ou pour ceux qu'il a nommés à désigner tous les fonctionnaires, toute la hiérarchie bureaucratique. La verticale du pouvoir est un état de l'organisation politique, où tous ceux qui sont capables de penser autrement que leur supérieur sont éloignés du milieu des responsables.
Chez nous, dans l'optique de l'administration présidentielle, qui est de fait le principal maillon de commandement du pays, cet état est caractérisé par le pronom « les nôtres ». « Les nôtres », ce sont ceux qui sont de notre côté. Puisqu'ils ne sont pas avec nous, les « non-nôtres », les autres, sont des ennemis. La plupart des médias décrivent en fait ce dualisme et montrent combien les « nôtres » sont bien et combien les ennemis sont écoeurants. On présente en général comme ennemis les responsables politiques de tendance libérale, les défenseurs des droits de l'homme et les mauvais démocrates, tous « vendus à l'Occident » (le symbole du « bon » démocrate, c'est la figure de Poutine). La presse et la télévision publient en une et en gros titres des informations sur les circonstances qui ont permis d'établir qui fait partie des « non-nôtres » et quelles subventions ils ont reçues de l'Occident pour leurs activités.
Ce faisant, les journalistes et les médias se sont mis à aimer passionnément leur comédie de « kovërnye » : la lutte pour le droit de diffuser des informations impartiales et de servir ces informations et non l'administration présidentielle, c'est un combat d'arrière-garde. Ainsi a commencé une époque de stagnation intellectuelle et morale dans le milieu professionnel auquel j'appartiens moi aussi.
Il faut dire que mes collègues ne sont aucunement gênés par leur propre stagnation, qui a transformé la profession de journaliste en outil de propagande en faveur du pouvoir existant. Ils avouent sans s'en cacher qu'ils reçoivent des informations sur les « non-nôtres » directement de collaborateurs de l'administration présidentielle, de même que des indications sur les thèmes qu'il convient ou non de traiter.
Que deviennent ceux qui refusent de participer à cette comédie ? Ce sont des parias. Un vide se fait autour d'eux. Les fonctionnaires se détournent alors de toi, quand ils te rencontrent en public, même s'ils aiment beaucoup te parler de façon clandestine. De nouveau, comme à l'époque soviétique - mais alors, c'est vrai, c'étaient les représentants de l'establishment qui s'entretenaient ainsi avec la presse étrangère - des discussions se mènent en plein air, dans des squares, dans des maisons bien fermées où le journaliste et le fonctionnaire arrivent par des chemins différents. Comme des agents secrets irréguliers. On s'efforce de n'inviter les correspondants d'un journal comme le nôtre à aucune conférence de presse, à aucune réunion où doivent se trouver des représentants de l'administration du Kremlin, naturellement pour que ces représentants ne soupçonnent pas les organisateurs d'avoir des sympathies à l'égard de publications comme la Novaïa Gazeta.
De l'extérieur, cela peut paraître ridicule. Mais pour nous, c'est triste. Ma dernière mission dans le Caucase du Nord, en Tchétchénie, en Ingouchie et au Daghestan, eut lieu en août. Savez-vous comment j'ai interviewé un haut fonctionnaire tchétchène pour savoir comment se passait l'amnistie des francs-tireurs annoncée par le directeur du FSB (le Service fédéral de sécurité, NDLR) ? Je lui ai écrit sur un bout de papier l'adresse d'une petite maison privée à la palissade défoncée, située à la périphérie de Grozny, et je l'ai transmise discrètement, de manière fortuite, sans un mot de plus. Nous étions convenus de tout ce dont nous allions parler, de ma venue et de ma demande d'interview, alors que j'étais encore à Moscou. Le lendemain, il a envoyé à cette adresse un homme qui s'est borné à dire : « Tout va bien. » Cela signifiait qu'il viendrait. Où plutôt qu'il viendrait, à pied, avec un filet à provisions, comme s'il était allé chercher du pain.
C'est ce qui s'est passé. Les informations que m'a transmises ce fonctionnaire étaient précieuses, elles étaient sensationnelles. Elles ruinaient complètement la présentation officielle de l'amnistie. J'ai obtenu ces informations dans une pièce de deux mètres sur deux, dont la minuscule fenêtre était soigneusement masquée par un rideau. Avant la guerre, elle servait de remise et quand la maison avait été touchée par les bombes, elle avait été transformée tout à la fois en cuisine, en chambre à coucher et en salle d'eau. Les maîtres de maison ne m'avaient pas accueillie là sans frayeur, c'étaient de vieux amis sur le malheur desquels - l'enlèvement de leur fils - j'avais écrit auparavant.
Pourquoi nous, le fonctionnaire et moi - nous sommes-nous comportés ainsi ? Nous étions sans doute fous ? Ce petit jeu avait-il un parfum d'exotisme ? Absolument pas. Une discussion franche entre un collecteur d'informations de l'opposition comme moi ou un autre journaliste de la Novaïa Gazeta et un personnage officiel des « nôtres » équivalait à la mort pour nous deux.
Ce même haut fonctionnaire m'amena ensuite dans cette même petite remise des francs-tireurs qui souhaitaient déposer les armes, mais qui ne voulaient pas participer à la comédie officielle. Ils m'ont raconté une foule de détails intéressants. Et pourquoi personne ne voulait-il se rendre aux autorités officielles ? C'est parce que les autorités ne s'intéressaient qu'à leur opération de relations publiques et non au sort de la population.
En fait, l'affirmation selon laquelle « personne ne voulait se rendre » suscitera parmi les experts des dénégations énergiques. Comment donc ! Pendant des semaines, la télévision russe avait montré des gens qui expliquaient qu'ils étaient revenus « dans le cadre de l'amnistie », « en faisant confiance à Ramzan Kadyrov » (le Premier ministre pro-russe de Tchétchénie, NDLR). Lors de réunions avec ces gens, on amenait beaucoup de journalistes « de comédie » (moi, on ne m'a JAMAIS invitée). Ils écrivaient soigneusement ce qui leur était dit, ils le transmettaient à leur média et c'est ainsi que se dessinait un tableau complètement déformé de la réalité. Mais il était plaisant pour ceux qui « avaient déclaré l'amnistie ». (...)
Cependant la « comédie » ne dure pas très longtemps et le pouvoir qui utilise les services des « kovërnye » est un champignon en voie de décomposition. L'épuration du champ de l'information menée en Russie - ce mensonge total, organisé par l'appareil de fonctionnaires pour brosser la belle image de la Russie de l'époque de Poutine - se transforme sous nos yeux en une série de tragédies auxquelles les autorités ne peuvent faire face et qui pourraient couler n'importe quel porte-avion aussi solide qu'il paraisse extérieurement. Je veux parler des événements récents de Kondopoga (ville de Carélie, à la frontière finlandaise, où se sont produits fin août des violences xénophobes, NDLR), l'explosion de progroms anticaucasiens aux conséquences fatales, favorisés par la vodka.
Les manifestations de nationalistes, les tabassages patriotiques d'étrangers, tout cela, c'est la conséquence du mensonge des autorités et de l'absence de dialogue véritable entre celles-ci et la population. Les autorités ferment les yeux sur le fait que la population vit en majorité dans une pauvreté effroyable, qu'en dehors de la capitale, le niveau de vie réel est partout bien loin de celui qui est affiché, que la corruption qui accompagne la « verticale du pouvoir de Poutine » a atteint des sommets incroyables et qu'a grandi une génération de jeunes pleins de rancoeurs face à leur pauvreté, peu à même de réfléchir en raison de la médiocrité de leur éducation...
Je vomis l'idéologie dominante avec ses « nôtres » et ses « non-nôtres », ses « nôtres » et « ceux d'ailleurs ». Si un journaliste est des « nôtres », il a droit aux récompenses, aux honneurs, il peut être invité à la Douma (la Chambre basse). Il sera effectivement invité, car on n'est pas élu à la Douma. Il n'y a pas chez nous d'élections législatives au sens usuel de cette expression, avec une campagne pour gagner des voix, la présentation de programmes et la tenue de débats. Chez nous, on invite au siège de la Douma, au Kremlin, ceux qui figurent sur le tableau des « nôtres » et qui lui rendent hommage : on les admet dans le parti Russie Unie avec toutes les conséquences qui en découlent.
Si un journaliste n'est pas des « nôtres », s'il est « d'ailleurs », il est en somme destiné à être un paria. Je n'ai jamais cherché à devenir ainsi une paria, à être comme un dauphin rejeté sur le rivage. En fait, je ne suis pas une militante politique.Eh bien, qu'est-ce que j'ai fait, moi qui suis lâche ? Je me suis bornée à écrire sur ce dont j'étais témoin. Rien de plus.
C'est délibérément que je ne m'arrête pas sur les « attraits » de la voie que j'ai choisie : l'empoisonnement dans l'avion pour Beslan, les arrestations, les menaces envoyées par la poste ou via internet, les promesses de me tuer. Cela n'a pas d'importance pour moi. L'essentiel, c'est d'avoir la chance de faire ce qui me paraît essentiel. Décrire la vie, accueillir tous les jours à la rédaction des visiteurs qui ne savent plus où aller dans leur malheur. Les autorités les ont envoyés promener d'un endroit à l'autre, car ce qui leur arrive ne cadre pas avec les conceptions idéologiques du Kremlin, si bien que l'histoire de leurs malheurs ne peut paraître quasiment nulle part et ils ne peuvent être régulièrement publiés que dans notre journal, qui s'appelle la Novaïa Gazeta.

http://www.lesoir.be/actualite/monde/2006/11/02/article_hermes_490075.shtml
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