Le gouvernement fantôme de Palestine
L’enlèvement du caporal israélien Gilad Shalit, revendiqué par la branche armée du Hamas le 25 juin dernier, a déclenché les représailles de l’armée israélienne. Traqués, les ministres palestiniens sont entrés dans la clandestinité.
Les chars israéliens se sont installés sur le front de mer, à la sortie nord de Gaza-Ville. Sept kilomètres seulement les séparent de la présidence palestinienne, où est retranché Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne, ou, plus exactement, de ce qu’il en reste.
Le gouvernement formé par le Hamas à la suite de sa victoire aux élections législatives du 25 janvier est confronté à une offensive militaire israélienne majeure. Le but de ses man oeuvres vise à libérer son soldat, captif des groupes armés palestiniens, et à chasser les islamistes du pouvoir. Résultat : le cabinet palestinien formé par le mouvement islamiste a pris des allures de gouvernement fantôme. Depuis quelques jours, les Palestiniens assistent, impuissants, au retour des forces israéliennes dans les colonies évacuées il y a un an à peine, mettant fin à trente-huit ans d ’occupation de la bande de Gaza. Ils voient se décomposer sous leurs yeux leur rêve d ’un Etat palestinien, dont l ’Autorité palestinienne était censée être l ’embryon et Gaza, libéré de l ’occupation, le laboratoire. Au bout d ’une semaine d ’offensive de Tsahal, Gaza, où siègent les institutions palestiniennes jumelées à celles de Ramallah en Cisjordanie, ressemble à une capitale assiégée redoutant un coup d ’Etat... Bien que l ’Etat n ’existe pas.
Des centaines de membres des forces de sécurité palestiniennes sont déployés sur les marches et sur le toit du Parlement à chaque session du Conseil législatif palestinien (CLP, Parlement). À l ’intérieur du bâtiment, les députés semblent avoir une seule préoccupation : interpréter la provenance des rafales d ’armes automatiques aux alentours. Ils pointent un doigt inquiet vers le ciel au moindre son d ’un drone ou d ’un hélicoptère d ’attaque israélien, qui quadrillent en permanence le ciel de Gaza, se demandant s ’ils ne feraient pas mieux de regagner leur cache.
Tsahal a enlevé la semaine dernière soixante-quatre responsables du Hamas, dont huit ministres et 26 députés lors de rafles en Cisjordanie. Et le gouvernement israélien a menacé d ’éliminer des dirigeants du Hamas, y compris le premier ministre palestinien, Ismaël Haniyeh. La plupart des ministres et de nombreux députés Hamas sont entrés en clandestinité. Traqués par Tsahal, ils ont coupé leurs téléphones portables. Ils ne rentrent plus dormir chez eux le soir, préférant solliciter l ’hospitalité de leurs proches. Ils ne se rendent plus à leur bureau au Parlement ou au ministère, par peur d ’être victimes d ’un raid israélien. Le premier ministre dort dans un endroit différent chaque nuit. Il trouverait régulièrement refuge chez le président Mahmoud Abbas, où seuls les boums soniques des chasseurs israéliens, les franchissements du mur du son à basse altitude, viennent perturber son sommeil.
Cette semaine, la réunion du cabinet a été maintenue. Mais celle-ci, d ’habitude annoncée à la presse dès la veille, a été tenue secrète jusqu ’au dernier moment. Elle s ’est tenue symboliquement dans les locaux du premier ministre, bombardés la veille, et où a lieu chaque semaine la séance hebdomadaire du gouvernement. Mais les prochaines réunions devraient être organisées dans un endroit plus sûr, si elles ont lieu. Selon des fonctionnaires du bureau du premier ministre, les ordinateurs et archives du bureau ont été mis en lieu sûr, afin de les sauver d ’une éventuelle attaque. Les employés du ministère des Affaires étrangères n ’ont pas vu leur ministre depuis deux semaines. Mahmoud Zahar, qui incarne la tendance la plus radicale du Hamas au sein des Territoires palestiniens, ce qui en fait une cible de choix pour Israël, s ’est totalement volatilisé. « Notre ministre a de plus en plus de mal à trouver une bonne cache, affirme Ahmed Soboh, le vice-ministre des Affaires étrangères. C ’est un comble que le chef de notre diplomatie, qui est censé nous sortir de l ’isolement international, soit obligé de se cacher. »
Nommé à son poste par Mahmoud Abbas juste avant la formation du gouvernement, Ahmed Soboh, un haut cadre du Fatah, affirme que la paralysie dont est victime son ministère est antérieure à l ’opération israélienne « Pluie d ’été ». « Depuis que le Hamas a pris les rênes du gouvernement, nous n ’avons plus de ressources financières, explique-t-il. Nous n ’avons plus de travail, car le gouvernement du Hamas est isolé sur la scène diplomatique. Et nous avons rompu les contacts avec notre ministre, qui représente la tendance la plus radicale au sein du Hamas, ce qui en fait à la fois un mauvais avocat pour la cause palestinienne et pour le gouvernement du Hamas. » En vertu de la loi fondamentale, le vrai chef de la diplomatie est le chef de l ’OLP, qui se trouve aussi être le président palestinien, Mahmoud Abbas, auquel Soboh est resté fidèle.
Deux bombardements de chasseurs F 16 israéliens ont éventré la façade des quatre derniers étages du ministère de l ’Intérieur. Les dalles en béton du plancher pendouillent à des poutrelles métalliques, menaçant de s ’effondrer à chaque instant. Le bureau du ministre, Saïd Sayam, l ’un des trois piliers du gouvernement Hamas, a été transformé en un champ de ruines.
Des camions de déménagement chargent les ordinateurs, les archives et tout ce qui peut être sauvé. « On ne sait pas encore, où tout cela sera transporté, soupire Mohammed Abou Hamza, secrétaire du ministre. Le travail est arrêté. On ne délivre plus de passeports, ni de papiers. Nous avons vu le ministre une seule fois en deux semaines. Nous attendons la nomination d ’une commission spéciale, chargée de gérer les affaires à sa place. »
À l ’entrée du ministère un garde, fidèle au Fatah, avoue s ’être rapproché du Hamas depuis le début de cette crise. « Nous ne sommes pas payés depuis cinq mois, mais il n ’y a pas eu un seul jour de grève, raconte Ashraf. Nous continuons de venir travailler alors que nous sommes entassés dans des bureaux sans climatisation, ni électricité et au risque d ’être bombardés. Mais c ’est le choix du peuple qui a voté pour le Hamas et il faut le respecter. Israël veut détruire ce gouvernement parce qu ’il a été choisi par le peuple, pour saper la légitimité palestinienne et pour le remplacer par un gouvernement fantoche à la botte des Etats-Unis. »
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