les Saoudiennes font un pas vers l'éligibilité
Au rythme où vont les choses, les délais seront assurément plus longs que ceux envisagés, en avril, par le roi Abdallah Ben Abdel Aziz, alors prince héritier du royaume saoudien. Il avait déclaré au Monde que l'émancipation des Saoudiennes prendrait "moins d'années que n'en comptent les doigts d'une main", le temps, selon lui, que "l'état d'esprit (de ces dernières), la mentalité de leurs maris et de leurs fils évoluent".
Il n'en demeure pas moins qu'un petit pas vient d'être franchi sur la voie esquissée par le roi : les femmes d'affaires saoudiennes ont été autorisées à se porter candidates aux élections du conseil d'administration de la chambre de commerce et d'industrie de Djedda. C'est une première, qui traduit à la fois le souhait du monarque de faire progresser les choses et les pesanteurs des traditions et d'une interprétation outrancière de l'islam au sein de la société et de la hiérarchie religieuse.
Dix-sept femmes d'affaires se sont portées candidates aux douze mandats en jeu, qui sont également brigués par 71 hommes. Le vote féminin a eu lieu les samedi 26 et dimanche 27 novembre. Les hommes doivent suivre à partir de mercredi. Jusqu'à présent, les femmes d'affaires saoudiennes bénéficiaient du droit de vote, mais n'étaient pas éligibles. En dépit d'une faible participation des électrices, les candidates se disent satisfaites. L'une d'elles, Lama Souleimane, a imputé ce manque d'enthousiasme au fait que les candidates n'avaient pas bénéficié d'un temps suffisant pour faire campagne.
"Nous n'avons appris que très tard que nous serions autorisées à postuler", a déclaré Mme Souleimane au quotidien saoudien Arab News. "Nous n'avons bénéficié que de deux mois, dont celui du jeûne du ramadan, pendant lequel il était inopportun de faire quoi que ce soit. Il nous a également fallu suivre une formation intensive au processus électoral, parce que nous n'avions jamais participé à aucun scrutin d'aucune sorte. Nous souffrons d'une absence de culture électorale. Nous devrions commencer à inculquer une telle culture au niveau de l'école", ajoute-t-elle.
Le scrutin est certes entaché par la séparation des sexes et ne concerne qu'une poignée de Saoudiennes appartenant à l'élite du pays. C'est néanmoins un progrès. Il suffit pour s'en convaincre de constater les objections que cette affaire a soulevées dans le royaume, où un imam n'a pas hésité, du haut de sa chaire, à jeter l'anathème sur la candidature des femmes, et où des enseignants de l'université islamique Mohammed-Ben-Saoud ont fait signer une pétition dans le même sens. Ce qui les effarouche, ce sont les risques de "mixité" dont "les sociétés occidentales et d'autres sociétés arabes offrent, selon eux, des exemples peu encourageants".
Le pouvoir, dont le roi est la clef de voûte, sinon l'unique tuteur, n'a tenu aucun compte de ces protestations d'un autre âge. Comme, en son temps, feu le roi Fayçal avait balayé d'un revers de main les objections des oulémas à l'ouverture de l'enseignement aux filles. C'était en 1962. Quarante-deux ans plus tard, le nombre des étudiantes est supérieur à celui de leurs homologues masculins. L'envers de la médaille est que ces diplômées représentent un important contingent de chômeuses, d'autant que certaines activités leur sont carrément interdites. Le gouvernement vient d'adopter un plan visant à favoriser leur intégration dans la vie économique.
TRAVAUX D'HERCULE
Beaucoup de chemin reste encore à faire. Mais les plus déterminées des Saoudiennes sont résolues à se faire entendre. Lors d'un récent colloque à Riyad, un groupe de femmes a réclamé le droit à faire partie des conseils municipaux. En février, les premières élections municipales partielles ont eu lieu dans le royaume. Les femmes en étaient exclues. Elles n'ont pas lâché prise, et veulent figurer parmi les édiles nommés par le gouvernement.
La tâche qui les attend, dans ce domaine comme dans d'autres, relève des travaux d'Hercule. Qenan Al-Ghamdi a rapporté, dans le quotidien Al-Watan, qu'envers et contre les règlements et circulaires officiels, qui garantissent désormais aux femmes le droit de détenir une carte d'identité personnelle, certains fonctionnaires s'obstinent à refuser un tel document : tel ce juge, qui a renvoyé chez elles deux soeurs, exigeant d'elles le carnet de famille, non sans leur demander d'ôter leur photo de leur carte d'identité ; ou certaines administrations qui continuent d'exiger elles aussi le carnet de famille ou la présence de deux témoins capables de confirmer l'identité de l'intéressée.
Mouna Naïm
Article paru dans l'édition du 30.11.05