Le chantage de Sharon
mercredi 20 juillet 2005
par l’Humanité
Afghanistan, Irak, et maintenant Gaza... Une à une, les régions du monde censées, depuis septem- bre 2001, symboliser l’excellence de la croisade antiterroriste américaine sombrent dans un inquiétant chaos. La Palestine, « libérée » d’Arafat, devait marcher à grands pas vers la paix, elle est de nouveau au bord d’un basculement généralisé dans la violence. La situation actuelle de tension est à cet égard tout à fait significative.
L’évacuation de la bande de Gaza par l’armée israélienne, qui devait jusque-là débuter le 17 août, est un plan unilatéral de Sharon. Son principe n’a jamais été réellement négocié avec l’Autorité palestinienne. Et pour cause. Pour le premier ministre israélien, la contrepartie de ce plan n’est en aucun cas le redémarrage d’un processus de paix global, mais tout au contraire la justification de la construction du mur qui est en train d’élargir encore les frontières d’Israël au détriment des territoires palestiniens.
En laissant aux Palestiniens, à l’issue d’une telle évacuation, une bande de Gaza surpeuplée, sous-équipée, sans eau, Sharon estime qu’il aura fait devant la communauté internationale un geste qui lui permettra de troquer en échange la poursuite de sa politique d’annexion. La surenchère des colons les plus extrémistes alimente d’ailleurs l’image qu’il entend donner au monde : celle d’une concession à la limite du supportable pour le gouvernement israélien. Or, rappelons que si 8 500 colons vivent dans le sud de la bande de Gaza, 1,3 million de Palestiniens s’y entassent sur une terre de quarante-cinq kilomètres de long et de six à dix kilomètres de large, plus de la moitié d’entre eux vivant sous le seuil de pauvreté, 45 % de la population active de Gaza étant au chômage, privée la plupart du temps de la liberté de circuler pour aller travailler.
Dans ces conditions, l’Autorité palestinienne, si elle ne rejette pas la perspective d’une évacuation de Gaza, l’a toujours située, pour sa part, dans une perspective plus globale de libération de tous les territoires occupés et de la création de l’État auquel son peuple a droit. Pas question pour elle de renoncer à des objectifs légitimes et reconnus par le droit international.
Mais sans avancées plus globales sur le terrain de ce processus de paix, l’Autorité palestinienne se trouve condamnée à relever un impossible défi. Convaincre sa population d’accepter pour le moment l’évacuation aux conditions de Sharon, avec toutes les entraves que cela comporte pour l’avenir immédiat de Gaza et toutes les ambiguïtés pour la suite du processus. Car, ne l’oublions pas, la population de Gaza, épuisée, excédée, est à bout, et elle a besoin urgent d’améliorations de sa vie quotidienne. Il y a plus que de l’indécence à entendre le gouvernement israélien, qui asphyxie ce territoire et ses habitants depuis des années, sabote ses installations, y nourrit le désespoir, donner des leçons à l’Autorité palestinienne pour ramener l’ordre au plus vite. Dans ces conditions, les surenchères du Hamas, qui puise son implantation dans la détresse de combattants sans perspective et dans la haine de plus en plus répandue de la politique américaine, fournissent à chaque fois les mêmes prétextes aux mêmes engrenages destructeurs de paix.
Une fois encore, à quatre semaines de l’évacuation promise de Gaza, la responsabilité des signataires de la « feuille de route » est engagée. La mobilisation internationale doit reprendre de plus belle pour obliger Américains, Européens et responsables de l’ONU à peser de tout leur poids pour empêcher une nouvelle rupture dramatique. Mais aussi et surtout pour obliger le gouvernement israélien à reprendre la seule négociation qui puisse durablement sortir l’épine de la guerre du talon de la région, et avec elle du monde : celle d’un processus global et définitif d’accession du peuple palestinien à ses droits.
par Pierre Laurent, dans L’Humanité
Accueil 
